Invocation
Rares sont les jours où l'on l'invoque cherchant ses bénédictions, et attendus. Ce jour en était un ; le premier de cette ère...
La lune était pleine et miroitait sereinement sur les vagues de brume enlaçant le sol de cet endroit méconnu de tous sauf des plus dévoués d'un culte qu'on lui avait voué depuis aussi longtemps que la mémoire va. Ils étaient tous là, indistinguables tels les ombres avec leurs robes noires semblables, au pli desquels un poignard pendait. Éclairés par la feinte lumière de quelques torches, ils attendaient et ce fut, éventuellement, l'heure...
Une mélopée monta peu à peu étouffant le bruit d'un ru paisible pour la plupart du temps. Les quelques nuages qui décoraient le ciel nocturne se dissipèrent et la brise s'arrêta. Les bruits du bois à l'orée duquel le rituel se déroulait se turent. Ce n'était pas dur de croire que tous les éléments du lieux se soient tenus attentifs... Si n'étaient les chants de ces hommes aux têtes capuchonnées, on aurait juré que le temps s'est arrêté.
la lumière craintive de leurs torches mourut. Ils surent alors que l'invocation avait réussi.
Elle apparut assumant forme humaine d'entre deux rayons de lune et la brume terrestre se dissipa comme pour lui faire chemin. Un coin de sa robe légère et blanche flottait entre les fins doigts de sa main droite, et de la gauche, elle tenait un arc aux splendeurs inégalées. Elle fit quelques pas et le sens du mot grâce changea sous le regard subjugué des adorateurs dont deux étaient déjà à terre ; son jugement était déjà tombé, ils étaient indignes de sa présence. Les chants rituels se turent lorsque le chef de l'assemblée se mit à genoux, tête basse et mains levées. D'une voix tremblante, il dit :
- Source de vie, lumière des mondes et couronne de la création... Déesse des aubes et des crépuscules et faucheuse d'âmes... vos sujets sont là, ils s'offrent à votre grandeur, choisissez votre champion.
- Mortel, toi qui professes si bien me connaitre, par quels mérites puis-je te reconnaitre ?
Dit-elle ces mots, lasse. Son visage était l'image de la beauté, ses cheveux noirs de jet tombaient sur ses épaules, ses yeux noirs reflétaient des images d'autres mondes et d'autre temps... Une lueur sainte se vit autour d'elle et ce n'était pas pour rien, elle est là, manifeste et glorieuse, l'impitoyable déesse de la vie. Que dire de plus? Même en forme humaine, ses traits défient l'imagination...
Étonné par une telle réponse, l'homme répondit :
- Vous devez surement reconnaitre ma voix, ma déesse. Je suis le plus dévoué de vos sujets. Je vous ai imploré jour et nuit ! Vous êtes la, ma voix a surement du vous atteindre...
Les images qui miroitaient sur la noire clarté de ses yeux devinrent infernales. La lueur de sainteté disparut. Elle laissa échapper un soupir et il ne fut plus. Indignée par la petitesse du premier, elle se tourna vers le second et demanda :
- Et toi, deuxième de mes sujets, comment puis-je reconnaitre ta valeur ?
Sans un mot, il tomba à genoux et la supplia :
- Vénérée telle que vous êtes, ayez pi...
Il n'eut pas le temps de finir ses mots. Elle avait laissé échapper le coin de sa robe d'entre ses doigts et posé sa main sur sa tête. Il était poussière. Lançant un regard de mépris sur la foule paralysée, elle dit froidement:
- Vous devez savoir que je n'accorde pas de pitié...
Dit-elle et le plus vil des poisons humecta ses lèvres dessinées de mains maitresses.
Le troisième n'avait pas attendu plus longtemps pour essayer de courir mais à la vue de la nullification de ses compagnons et de l'expression sur son visage, son corps ne sut plus comment bouger. Elle demanda ses preuves et il ne sut en donner, il eut le sort de ses prédécesseurs et ce fut de même pour ceux qui l'avaient suivi. Il ne restait plus que deux...
- De mes serviteurs, ne restent plus que deux... Dis-moi avant-dernier de mes sujets qui ne sont plus, comment puis-je juger la valeur de ton existence ?
Sans dire un mot, sans fléchir, il saisit son poignard et le plongea violemment dans le cœur de son voisin. Se tournant ver elle, il dit :
- Demandez-lui, lui dont le sang nourrit mon poignard, il vous dira si j'existe.
Un sourire au coin des lèvres, elle répondit et sa lumière aveugla :
- Dis-moi, dernier de mes sujets, pourras-tu rester là où les autres ne pourront ?
Il retrouva sa lame du corps de son feu compagnon, la lui offrit et dit :
- J'y suis car celui-ci est mort, j'y suis car j'ai la volonté d'y rester et j'y resterais tant qu'il y aura trace de mes actes comme le sang qui décore la lame que je vous offre. J'ai pris une vie que vous avez donnée et je scelle notre contrat avec la mienne, ma déesse.
Le rituel était fini. Se dissipant dans les nues, elle prononça son jugement :
- Assurément, mon nouveau champion... Assurément...